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29 janvier 2007

Le Maroc : un modèle régional

Interview parue dans le n°2 de Résonances, magazine des Anciens Eleves de l'ESSCA, en décembre 2006

DOSSIER Afrique
Le Maroc : un modèle régional

Frédéric JUND (1994), 2G Project Manager pour Nokia Siemens Networks Maroc
frederic.jund.ext@nsn.com

Résonances : Pourquoi vous êtes vous installé au Maroc ?

Frédéric Jund : Je suis venu au Maroc pour la 1ère fois en 1998 par opportunité professionnelle. J’y suis resté un an, c’est à dire le temps nécessaire pour y rencontrer celle qui allait devenir mon épouse. Mon parcours m’a ensuite amené à travailler dans différents pays (Afrique du Sud, Egypte, Espagne, Portugal, France) pour des périodes allant de 6 mois à 1 an. Il y a deux ans, j’ai souhaité me réinstaller au Maroc car il me semblait plus facile d’y imprégner notre fille d’une double culture que si nous étions restés en France. Il est important pour moi qu’elle maîtrise parfaitement les deux environnements culturels hérités de ses parents. J’ai donc orienté ma carrière en fonction de ce besoin. Deux ans après, je suis très heureux de ce choix.

Le Maroc profite pleinement de la délocalisation d’activités comme les centres d’appel. Comment cela se traduit-il concrètement dans le pays ?

J’ai pu constater par moi-même le développement et le succès des centres d’appels au Maroc. C’est
aujourd’hui un des axes économiques stratégiques pour le gouvernement marocain. C’est réellement un
système symbiotique (“ win-win ” pour les drogués des anglicismes) qui s’est mis en place. Tout d’abord attirées par des coûts salariaux sans comparaisons avec la France (le salaire minimum est de l’ordre de 200 euros), ces entreprises ont trouvé au Maroc une frange de la population qui est jeune, diplômée, qualifiée et souvent sans accent (à la différence de la Roumanie par exemple). Même si le turn-over reste souvent élevé dans ce secteur (pénibilité de l’emploi associée à une rémunération peu attractive), ces centres se sont développés dans de nombreuses villes du Royaume : Casablanca, Rabat, Marrakech et même depuis peu Fès et Agadir, c’est à dire partout où les entreprises ont pu trouver des bassins de population suffisamment larges répondant aux critères décrits précédemment. Conscient du potentiel, le gouvernement montre la voie en créant une vaste plate-forme off-shore à Casablanca réunissant des bureaux équipés de la technologie nécessaire, un centre de formation aux métiers des centres d’appels, des hôtels et des immeubles d’habitation. On trouve donc aujourd’hui aussi bien des centres d’appel créés directement par des sociétés gérant elles-mêmes leurs relations clients, par exemple Axa ou Dell (1 500 opérateurs, et bientôt 2 500, s’occupant aussi bien des marchés français qu’espagnol) que des sociétés de service,
comme WebCad, oeuvrant notamment pour des opérateurs téléphoniques français. C’est-à-dire que si vous
souhaitez un renseignement sur un abonnement au GSM ou à la télé satellitaire, il y a de bonnes chances
pour que votre interlocuteur se prénomme Khalid ou Leïla et vive à 3h d’avion de Paris.

Casablanca n’est plus la seule ville du royaume à pouvoir profiter de la croissance économique. Le bon
niveau des infrastructures marocaines (communications terrestres et aériennes, télécommunications) a permis d’accueillir ce marché porteur et en retour celui-ci incite à accélérer la modernisation du pays.

Même si on peut s’inquiéter du devenir de ces jeunes qui par milliers trouvent un emploi dans les centres d’appels (quelle évolution de carrière dans un secteur très pyramidal : environ 1 area manager pour 15 opérateurs et 1 chef de projet pour 10 area manager ?), ce phénomène représente une opportunité pour le Maroc, qui avait raté le filon de la sous-traitance industrielle de l’Europe dans les années 80, d’accrocher le train de la croissance apportée par les NTIC. C’est une étape indispensable mais elle doit être suivie d’une densification du tissu économique marocain et d’un élargissement du savoir-faire.

L’enjeu pour le Maroc est de créer des conditions économiques favorables qui permettront à ses cerveaux de trouver à s’employer au pays plutôt qu’en Europe où en Amérique du Nord.

Quels sont les principaux partenaires économiques du Maroc ?

De par sa proximité culturelle, géographique et historique, la France est sans conteste le 1er partenaire économique du Maroc. Suivent l’Espagne, les Etats-Unis, les Emirats Arabes, l’Italie, l’Allemagne. Comme pour tous les pays du continent africain en général, la Chine et la Russie montrent également un intérêt croissant pour le Maroc. Traditionnellement, les liens France / Maroc sont très forts. La coopération entre les 2 pays est exemplaire. Rappelons pour la petite histoire que le couple Chirac a une relation quasi-filiale
avec sa Majesté le Roi Mohamed VI et que Dominique de Villepin et MAM sont nés au Maroc.

Notons aussi que depuis le changement de majorité en Espagne et l’arrivée au pouvoir de José-Luis Zapatero, les relations hispano-marocaines se sont considérablement améliorées.

Ces deux pays, France et Espagne, se veulent les ambassadeurs du Maroc auprès de l’Union Européenne.

Le Maroc a le privilège unique d’avoir conclu des accords de libre-échange à la fois avec les Etats-Unis et l’Union Européenne, devenant du même coup une passerelle entre ces deux blocs.

En dehors du tourisme, quels sont les principaux secteurs d’activité du pays ?

Pour rappel, le tourisme est effectivement un élément moteur et en progression constante. La vision
exprimée dans le plan Maroc 2010 est d’accueillir 10 millions de touristes par an. Nous en sommes
aujourd’hui à environ 5 millions. Pour atteindre cet objectif ambitieux, des infrastructures hôtelières,
aéroportuaires, autoroutières, etc., supplémentaires sont nécessaires. Ce plan 2010 s’accompagne donc
d’une politique de grands travaux permettant au secteur du BTP de se développer considérablement. Ce d’autant plus que ce secteur bénéficie aussi de la relance de l’habitat. Pour mettre fin aux bidonvilles, de
nouvelles villes sortent de terre.

Un gigantesque port commercial est en construction à Tanger afin de faire bénéficier cette ville de son emplacement géostratégique et de la placer dans un réseau de plates-formes d’échanges de containers, à égalité avec Rotterdam et Dubaï.

L’implantation de nouvelles industries au Maroc témoigne du rôle de leader de ce pays dans le Maghreb. Par exemple, la Logan y est fabriquée et est rapidement devenue la voiture la plus vendue. Il est prévu de l’exporter notamment vers l’Egypte, dès que l’application des accords commerciaux entre ces deux pays sera effective.

L’aéronautique est aussi présente à travers des sociétés comme EADS ou Safran qui ont développées des activités d’ingénierie ou de production de pièces (région de Tanger notamment) ou ont incité des sous-traitants à le faire. Royal Air Maroc a un rayonnement continental grâce au hub de Casablanca.

Les Télécommunications, comme partout, ont contribué à la croissance économique depuis 10 ans grâce aux 2 opérateurs GSM existants (Maroc Telecom détenue par Vivendi depuis sa privatisation et Méditel adossée à Portugal Telecom et Telefonica). Un troisième opérateur démarrera en fin d’année, Maroc Connect. Ces trois opérateurs devraient dans un avenir proche lancer la 3G au Maroc.

La Grande Distribution a fait son apparition il y a bientôt 10 ans et s’impose sur l’ensemble du territoire (groupe Auchan notamment avec les enseignes Acima et Marjane) et témoigne de la mutation engagée par le Maroc, passant d’une société rurale traditionnelle à une économie urbaine de consommation. Car malgré tout, c’est encore l’agriculture qui, selon le niveau des pluies annuelles atteint dans ce pays semi-aride, fait ou défait la croissance du PIB. Les ressources minières ne sont pas non plus négligeables. Le Maroc est le 1er producteur mondial de phosphate.

Comment sont perçues l’Europe en général et la France en particulier ?

L’Europe apparaît comme la promesse d’une vie meilleure. Mise à part une élite nantie, toutes les couches
sociales rêvent d’Europe. La France, elle, est perçue comme un partenaire fiable. Il n’existe pas de ressentiments consécutifs à l’époque coloniale (même si le Maroc était sous protectorat, français et espagnol, le rapport de force était de type colonialiste) comme chez le voisin algérien.

Le continent connaît à la fois des crises interminables et des taux de croissance à faire rêver. Comment expliquer ce paradoxe ?

Le continent africain est coupé en deux par le Sahara. Pour bien connaître les deux, je peux dire que l’Afrique du Nord et l’Afrique sub-saharienne sont deux univers culturels absolument différents. Depuis la décolonisation, le Maghreb est remarquablement stable. Sans rentrer dans les détails, les régimes en place sont les mêmes depuis 50 ans. Alors que l’impression globale que donne l’Afrique sub-saharienne est celle d’un chaos politique permanent. Guerre, corruption, tribalisme semblent en être les maîtres mots. Mais effectivement, ce continent représente un nouvel enjeu pour les multinationales, car en dépit de volumes encore faibles, ces marchés constituent la croissance de demain. Les marchés occidentaux sont matures et chaque dixième de point de croissance est lourd de sens. Le marché asiatique explose mais le prochain eldorado pourrait bien être l’Afrique. La raison en est simple, on part quasiment de zéro dans de nombreux pays. Les populations sont dénuées de tout et même si leur pouvoir d’achat est aujourd’hui insignifiant, la “ mondialisation ” ne pourra s’épargner une mise à niveau du continent africain. Quand les positions sont acquises partout ailleurs, on regarde avec avidité les parcelles de croissance restantes.

Comment voyez-vous l’avenir ?

Il me semble que depuis l’accession au trône de Sa Majesté Mohamed VI en 1999, le pays a engagé une
course-poursuite contre la pauvreté. N’oublions pas que tous ces efforts ont pour but unique de résorber la misère, véritable terreau de l’islamisme constituant une menace pour le régime en place et l’équilibre géopolitique de la région. Du succès des réformes engagées dépend l’avenir du pays. Le pouvoir en place a
conscience que l’immobilisme serait suicidaire. Il a démontré son engagement pour la modernisation du
pays, même si tout ne peut radicalement changer du jour au lendemain. Une croissance vigoureuse et une
stabilité politique du Maroc sont absolument nécessaires à l’Union Européenne pour contenir la pression de tout un continent qui pousse vers le Nord. En encourageant le Maroc à acquérir un statut de leader régional et continental, c’est à leur propre avenir que s’intéressent les puissances occidentales. Les enjeux sont trop importants pour verser dans le pessimisme et les changements réalisés depuis 10 ans sont réellement impressionnants.

Qu’est ce que vous regretteriez le plus si vous deviez quitter le pays ?

Je ne regrette jamais rien quand je quitte un pays car j’en sors plus riche qu’en arrivant et si je pars c’est pour découvrir d’autres univers. Je transformerai donc la question en : “ Qu’est-ce que vous
aura apporté le Maroc ? ” : une compréhension du monde arabo-musulman, essentielle à notre époque tourmentée ; l’admiration pour une société avec des règles sociales très fortes dans une nation vieille de 1 500 ans, avec parfois de l’agacement face à une certaine inertie due au poids des traditions ; être convaincu que les haines ne sont rendues possibles que par l’ignorance que l’on a des autres.

Les regrets seraient des clichés à touriste : l’art culinaire, la diversité et la beauté des paysages, l’accueil, etc.

www.anciens-essca.com

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